Bernard Jeannenot: pour une Vie Libre

De Wikithionville

Bernard Jeannenot a grandi dans la cité Médoc de six à vingt et un ans. Son père travaillait pour l’immobilière thionvilloise qui logeait les gens de Sollac et qui allait devenir Batigère après fusion. En revenant du service militaire, Bernard s’installe avec sa première femme, au 10 rue Christophe Colomb, dans l’immeuble qu’on appelle la banane, avenue de Douai. S’il y était resté toutes ces années, il serait aujourd’hui sous le coup d’un relogement car cet immeuble va être réaménagé et plusieurs cages d’escalier, dont le numéro 10, vont être démolies.

Mais déjà la famille avait déménagé au numéro 16, Bernard s’en souvient bien, il avait les pieds dans le plâtre et c’est messieurs Firek et Fichback qui l’avaient aidé à déménager d’une cage à l’autre. Les gens se connaissaient bien car tout le monde travaillait à la Sollac : il y avait une vraie solidarité entre eux. A l’époque, il suffisait de descendre au pied de l’immeuble et de claquer ses boules l’une contre l’autre pour voir rappliquer les autres boulistes en moins de cinq minutes.


En 1985, Bernard divorce et quitte le 16 pour un studio rue du chardon. En 1990 il s’installe aux Cofimec à Yutz mais dès 95, son fils qui a gardé l’appartement familial, lui signale qu’il y a un logement libre sur son palier et Bernard revient rue Christophe Colomb. Sa fille s’installe juste au dessus et jusqu’en 2004, toute la famille, c'est-à-dire les enfants et petits enfants de Bernard et les enfants de Marie-Paule, sa nouvelle compagne, vont vivre ensemble, portes ouvertes et sur deux étages. Le relogement et la réhabilitation de la banane sont bien avancés mais Bernard trouve que certaines choses marchent à l’envers. Par exemple, dans la cage d’escalier du 16 on sait depuis longtemps que l’entrée de l’immeuble va s’inverser et le F5 du rez-de-chaussée va perdre une pièce: pourtant une famille qui voulait un F5 à été relogée dans cet appartement sans savoir qu’il allait devenir un F4 à cause des travaux. Le bailleur a aussi évoqué la possibilité de passer d’un F5 à un F3 car maintenant Bernard et Marie-Paule sont seuls. Mais non seulement les enfants et petits enfants viennent toujours à la maison mais en plus Bernard pense que la loi sur le relogement tient compte de la surface réelle des appartements dans ces cas là et leur appartement est un petit F5. Au pire il faudrait qu’ils lui proposent un F3 de la même superficie et dans le quartier. Ce serait vraiment dur de s’adapter mais après tout, Bernard l’a déjà fait dans sa vie. Il a appris à accepter les choses comme elles sont en luttant contre la maladie alcoolique.

Bernard a commencé à travailler à quatorze ans en 1959 à Hayange sur le train à chaud. Rectifieur, tourneur pontier cariste, il a tout fait. Mais, avec les années qui passent, quelque chose l’empêchait de monter en grade malgré la qualité de son travail. En 1989, il se décide à faire une cure de désintoxication. Il fuit littéralement à Cabri près de Grâce dans le midi, il n’a pas envie qu’on lui fasse la morale. Il va refaire le chemin à l’envers et comprendre ce qui l’a amené là. S’il n’a pas bu avant son service militaire, la majorité, à 21 ans à cette époque là, va lui donner petit à petit l’occasion de boire : l’alcool est synonyme de convivialité et de force et on boit de plus en plus sans s’en apercevoir. Mais ce que la cure va lui apporter c’est la découverte, à quarante cinq ans, qu’il est dyslexique. Il se souvient de ce qu’on disait de lui à l’école : « Bernard est un fainéant, il ne travaille que quand il en a envie… » les première lignes de ses devoirs étaient sans fautes mais pour les dernières il perdait sa concentration et le nombre des fautes éclataient. Avec un père à cheval sur l’orthographe et porté sur le beau parler… ne pas pouvoir restituer ce qu’on a fait parce qu’on confond les B et les P est un vrai handicap. Mais les parents élèvent leurs enfants de la même manière alors que chacun a ses faiblesses et ses forces. Le résultat c’est le premier prend ça bien le deuxième mal et que le troisième souffre. C’est la racine de la maladie alcoolique : être mal compris et dévalorisé au départ. Ce que Bernard a compris aussi c’est qu’on ne peut demander à ses parents ce qu’ils n’ont pas reçu eux-mêmes. Pendant la dernière guerre, le père de Bernard avait fuit Thionville avant l’arrivée des allemands. Il n’avait pas vraiment eu le choix : ses parents venaient de divorcer, chose rare à l’époque et sa mère ne voulait pas de lui ni d’ailleurs la nouvelle femme de son père. Une histoire d’enfant orphelin de parents vivants.


Il avait vivoté en faisant des petits boulots avant d’atterrir du côté de Beauvais et de rencontrer sa future femme, réfugiée elle aussi. La cure lui a permis de comprendre ses parents et de choisir. Car la maladie alcoolique est la seule dont le patient peut décider de guérir. Il suffit d’arrêter de boire.

Mais l’abstinence est un chemin très exigeant. La personne qui l’a encadré à Vie Libre était abstinente depuis vingt six ans quand, pour fêter un événement joyeux elle s’est autorisé une coupe de champagne : la rechute est terrible. La maladie alcoolique laisse dans l’organisme une substance proche de la morphine : la T.H.P, tétrahydro papavéroline qui prend petit à petit la place naturelle des endorphines chargées de soulager nos douleurs. En cas de reprise de la consommation d’alcool, les malades alcooliques perdent tout contrôle et la T.H.P va pousser les pousser à boire de façon mécanique et répétitive. Il faut donc se méfier des coups de « tömel » et savoir ce qu’on veut car, pour Bernard, une rechute se sent venir et si ça recommence quand on a réglé ses comptes avec le passé, « c’est qu’on a soif ».



On est donc acteur de sa guérison et quand Bernard va parler devant des lycéens au nom de l’association Vie Libre, c’est pour leur dire qu’il ne faut pas perdre la liberté de boire pour le plaisir. Il ne s’agit pas de leur interdire de boire mais de leur donner les moyens de gérer leur consommation avec modération pour qu’ils puissent boire pour le plaisir toute leur vie et non contraints et forcés par la maladie.

L’alcool et les jeunes est un sujet préoccupant mais il ne faut pas perdre de vue qu’il prend souvent la place de ce qui manque et si, aujourd’hui certains jeunes défraient la chronique par leur abus d’alcool, c’est surtout pour attirer l’attention sur leur mal-être. Avec des parents absents parce qu’ils travaillent tous les deux, comment prendre une place dans cette société sans structure. La suite dépend du groupe auquel on va appartenir et les codes qui définissent le comportement de chacun. Parfois, c’est hiérarchie, violence, picole. Bernard a été appelé récemment dans un établissement scolaire à cause de six jeunes filles ivres mortes le matin en classe : elles lui ont dit que, « bonne notes mauvaises notes, à la maison leurs parents ne font pas la différence ». La maladie alcoolique nait du sentiment de sous-estimation de soi.

L’association de soutien aux malades alcooliques, Vie Libre, offre justement la liberté à chacun de prendre des responsabilités et d’être valorisé par son action. Bernard a été responsable deux ans et puis a laissé la main à quelqu’un d’autre. Certains font des cures par obligations de justice, pour ramener la paix dans la famille, pour s’en sortir, il faut comprendre que l’alcool est une maladie et donc qu’on peut en guérir. L’association est un endroit où les gens peuvent parler de tout et de rien et de leur problème s’ils le veulent, en toute liberté et sans jugement.


VIE LIBRE
Permanence  à Thionville : 5 rue du manège le mardi  et mercredi de 17h à 19h vendredi de  10h à 12h 
4ième lundi de chaque mois  réunion   salle  du manège ouverte à tous.

Permanence à Yutz à l’escale, le lundi de 14h à 16h aux Cofimec, 2 rue de Bretagne et au centre médicosocial,  rue des nations, de 17h à 19h.



article publié sur mon quartier ma ville[1]