Yvette Guerder revient de loin

De Wikithionville
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Yvette Guerder s’était installée avec son mari à la perdrix en 1971, comme d’autres femmes de policier à l’époque. Plus tard la famille, une fille et deux garçons, avait déménagé en ville, place Notre Dame. C’est après son divorce qu’elle est arrivée rue du faisan, de nouveau à la Côte : c’est son mari qui est parti. Il faut dire que madame Guerder était plutôt naïve : sa mère ne lui avait rien dit d’autre du mariage que le mari ramenait la paye et elle n’avait pas non plus cherché à en comprendre davantage. Toujours est-il qu’elle s’est retrouvée sans ressource du jour au lendemain et qu’elle a du chercher du travail.

françoise, danielle, yvette et monique à l'usine

Elle avait déjà travaillé à Texilor à Basse-Ham, mais c’est sur ses talents de cuisinière qu’elle s’appuie pour postuler comme gouvernante. Elle met une annonce dans le journal et reçoit sept propositions de travail à Nice. Elle prend le train avec sa fille et elle rejette la plupart des offres qu’on lui fait : ce sont des célibataires portant beau mais vivant dans la saleté. C’est un amiral en retraite qui va l’embaucher, assez maniaque sur l’heure des repas et le nombre des biscottes qu’il faut lui servir au petit déjeuner : trois beurrées, trois à la confiture et, c’est le plus délicat , entières bien sûr. Monsieur invite Yvette à prendre le temps de vivre, et inscrit sa fille à l’école maternelle. Elle l’accompagne dans ses promenades à pied et il tient à lui donner le bras. Yvette est encore jeune rousse et divorcée même si son mari appelle souvent au téléphone. Un soir elle doit accompagner monsieur l’amiral à un repas de gala, sa petite fille a été sermonnée pour ne pas faire la folle mais c’est Yvette qui refuse de rester : ce n’est pas son monde et elle est mal à l’aise. Monsieur prend ça pour un affront et Yvette comprend qu’il est temps de partir. L’aventure niçoise aura duré sept mois.

A Thionville, plus d’appartement place Notre Dame et finalement installation rue du faisan à la côte des roses. Yvette va vivre du Rmi.

Jusqu’à ce jour il y a douze ans où Yvette est terrassée par une rupture d’anévrisme. Elle s’en souvient bien : c’était le lundi après le passage du tour de France à Thionville, et son frère de quarante neuf ans venait lui, de faire un A.v.c moins de dix jours avant.

Yvette Guerder revient de loin, le médecin ne donnait pas cher de sa vie et après plusieurs mois de coma elle ne reconnaissait que sa mère et sa fille. Mais ce n’était pas son heure.

Elle a un souvenir très net de cette expérience proche de la mort. Elle a vu cette lumière qui brille mais qui ne fait pas mal aux yeux que décrive d’autres personnes ressorties du coma. Yvette n’a plus peur de mourir car elle sait qu’au dessus il y a quelqu’un.

Elle est montée jusqu’à cette lumière et a revu son père et son grand-père en larmes, à cause de ce qui était arrivé à son frère. Mais en core une fois, ce n’était pas son heure et malgré son envie de rester, elle était revenue à la vie pour se retrouver, terrorisée, entourée de tuyaux et d’une machine respiratoire.


Yvette va mettre cinq ans à se remettre. Elle a combattu. Mais elle, qui tenait table ouverte pour tout ses amis, va voir son entourage la laisse tomber. Elle ne doit ses lents progrès qu’à sa voisine, madame Guillon qui va l’encourager toutes ces années, en sortant avec elle dans le quartier. C’est qu’Yvette ne connaissait plus Thionville du tout. Madame Guillon lui montrait la ville en promenant sa chienne Pupuce. « Vous me tirez vers l’avant » disait madame guillon perdant l’équilibre : c’est ainsi qu’Yvette a compris qu’elle avait besoin d’une canne. Une femme venait tous les jours lui faire à manger, le ménage et lui laver les cheveux mais madame Guillon l’a vraiment sortie de sa cage.

C’est à cette époque qu’elle a découvert l’atelier linge de la chaussée d’Océanie et c’est là que ça a décollé pour elle et qu’elle a eu quelques petits boulots : veilleuse de nuit dans une maison de retraite, chez un fleuriste sur le parking du Géric, au tennis-club pour faire du ménage.


Aujourd’hui elle peut faire ses courses avec son ami Sauveur qui l’accompagne souvent mais pas plus loin que les petits supermarchés du quartier : elle ne peut plus se repérer dans les grandes surfaces.

Sa fille avait quinze ans quand elle a eu cet accident cérébral et elle est retournée vivre avec son père. Aujourd’hui Yvette est sous tutelle de l’U.D.A.F car un jour sa banquière s’est aperçue que son argent filait anormalement vite. Elle l’avait interrogée et s’était aperçue qu’Yvette ne distinguait pas un billet de dix francs d’un billet de cent. A force de laisser des pourboires généreux à ceux qui lui donnaient un coup de main, elle avait presque épuisé le peu d’argent que ses parents lui avait laissé.


Yvette s’occupe de la vie dans son quartier  : tous les jours elle met ses bottes et, en sortant sa poubelle le matin, elle ramasse ce qui traine sur les pelouses derrière l’immeuble. On trouve de tout : canette, détritus et ces jours-ci un ordinateur et un grand miroir fracassés. Mais ça elle ne peut pas l’enlever. Si Yvette prend soin des abords c’est pour elle-même et les personnes de la rue.


article publié dans saisir le changement[1]