Une intégration "marche par marche"

De Wikithionville
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Unifier, c’est nouer mieux les diversités particulières, non les effacer pour un ordre vain (Saint-Exupéry, Citadelle).

Dans le cadre du programme PRIPI (Programme Régional d’Intégration des Populations Immigrées), l’atelier de français au centre "Le Lierre" vise une démarche qui se veut collaborative. C’est dans cette optique que l’animatrice a proposé au groupe de partager sur la plate-forme collaborative de wikithionville un récit de vie. La démarche pédagogique de cette action implique un apprentissage linguistique individuel mais aussi une démarche de communication partagée. Madame M. a accepté car elle voulait faire partager au groupe et aux lecteurs du site, son enfance en Algérie, les traditions du mariage musulman et son intégration en France. Son témoignage s’est donc centré sur ses trois axes.

Mon enfance en Algérie.

Dans ma famille, nous étions trois filles et trois garçons, moi je suis la dernière et du coup j'étais gâtée par mes parents. J'étais toujours avec mon père. Mon père travaillait comme responsable de port, en Algérie. Quand je n'avais pas école, il me ramenait avec lui sur son lieu de travail sur une mobylette. Je regardais les bateaux qui ramenaient beaucoup de marchandises et le rôle de mon père était de tout gérer. Chaque jour, il dirigeait la réunion pendant laquelle les travailleurs faisaient le point sur l'arrivée des marchandises.

Pendant le week-end, qui à l'époque était le jeudi et le vendredi, mon père m'amenait à la plage pendant que mes deux autres sœurs restaient à la maison. Nous allions aussi au zoo, au parc, où il y avait des balançoires, nous faisions des promenades et des pique-niques. En rentrant à la maison, j'avais l'autorisation d'aller jouer dehors avec mes copines. J'ai eu une relation très privilégiée avec mon père. Il disait toujours : « tant que je suis vivant, elle sera toujours gâtée » et je fais de même avec mes enfants aujourd'hui. Depuis qu’ils sont petits, je les gâte et je leur donne le meilleur.

A l'âge de douze ans, j'ai malheureusement perdu mon père et les relations avec mes frères ont changées. Cette période a été difficile à vivre car ma vie a subitement changé. Non seulement je n’avais plus mon père, mais je n'avais plus le droit de sortir, d'aller à l'école, et je devais porter le voile. Seul un de mes trois frères m'a obligé à porter le voile et c'était le plus gentil des trois. Ça m'a beaucoup étonnée que cela vienne de lui. Le plus difficile pour moi était que je ne savais pas le mettre et j’ai dû me débrouiller toute seule. Je voyais bien ma mère le mettre et le porter tout le temps mais personne ne m'avait montré comment le mettre. A la mort de mon père, ma mère aussi a été perdue car elle a toujours été dépendante de lui. Il faut dire qu’il gérait beaucoup de choses à la maison comme les courses.

Avec le temps, je me suis habituée à vivre différemment. Je n'avais plus d'amis, je côtoyais juste les voisins et parfois, avec ma mère, nous allions à un mariage dans la famille mais c'est tout. J'ai porté le voile jusqu'à mon mariage à l'âge de 26 ans.

Mon mariage, dans la tradition musulmane.

Comme c'est la tradition, la mère de mon futur mari est venue chez nous pour demander ma main. Mon père étant décédé, c'est mon grand frère qui a pris sa place et qui a décidé si le prétendant pouvait être digne de devenir mon mari. Il a demandé par exemple, quel métier il exerçait. Ensuite, nous avons attendu un mois pour donner une réponse qui fut positive. Moi-même, j'avais donné mon accord. Mon mari a d’abord été à la mosquée, seuls les hommes y vont, pour voir l'imam qui a autorisé le mariage. Dans la tradition, le marié doit donner des bijoux à sa future femme et donner de l'argent à la mère de la mariée. Une semaine avant le mariage, mon mari et moi, nous avons été à la mairie. En 1982, la tradition était de se marier du mercredi au vendredi, notre mariage a donc duré trois jours. De nos jours, les mariés peuvent choisir de le faire en une seule journée. Lors de mon mariage, c'est la famille du marié qui avait tout organisé.

Le premier jour, seuls les jeunes ont fait la fête avec la musique traditionnelle jusque tard dans la nuit. Le jeudi à midi ce sont les personnes plus âgées qui se sont réunies pour manger le couscous. Le couscous était préparé avec de la viande de mouton, et pour bien le décorer on avait ajouté des dragées et des raisins. Les mariés n'assistent pas aux festivités du mercredi et du jeudi midi. La tradition veut que la mariée aille au hammam le mercredi et le marié le jeudi matin. Le vendredi, dernier jour, les femmes crient des « youyous » toute la journée pour mettre l'ambiance. Des gâteaux traditionnels étaient disposés dans toute la pièce.

Durant la fête, la mariée doit se changer plusieurs fois. Pour ma part, je me suis changée toutes les dix minutes.

Ma nouvelle vie en France.

A mon arrivée en France, je me suis installée dans le Nord-Est de la France avec mon mari et ma belle-mère. La cohabitation s'est bien passée et j'ai retrouvée beaucoup plus de liberté en France. Par exemple, étant mariée, je n'avais plus besoin de porter le voile et c'était pour moi un soulagement. Une nouvelle vie commençait pour moi.

Ne connaissant pas du tout le monde occidental, j'ai été surprise par beaucoup de choses, et en particulier par les magasins. Pour moi, c'était nouveau de voir autant de produits dans un seul endroit.

Pour m'aider à apprendre le français, que je ne connaissais pas du tout, mon mari m'a poussé à faire plein de choses toute seule, comme les courses. Au début, j’ai eu quelques appréhensions, est-ce que je vais me faire comprendre ? Est- ce que je vais comprendre ce qu’on me dit ? Ça n’a pas été facile mais j’ai utilisé des gestes pour me faire comprendre. Je suis restée persévérante. Je voulais vraiment être autonome dans la vie de tous les jours. Et puis très vite, j'ai commencé à apprendre des mots, à faire des phrases et en moins d'un an, je savais déjà très bien me débrouiller. Je regardais aussi la télévision en français pour que les mots rentrent dans ma tête.


Après trois ans avec ma belle-mère, mon mari et moi avons déménagé pour nous retrouver seuls. J'ai ensuite eu mon premier enfant puis le deuxième et le troisième.


Quelques années plus tard, j'ai divorcé et je suis partie avec mes enfants. La décision de quitter mon mari n’a pas été facile à prendre mais je savais que j’étais capable de faire face. Cette période a tout de même été difficile car je me suis retrouvée seule avec mes enfants à élever.


Ils ont vite grandi, et pour les aider à faire leurs devoirs, je me suis dit qu'il fallait que j'apprenne vraiment le français. On m’a orienté vers le centre "Le Lierre". Je me suis vite fait des amis et grâce aux cours de français j'ai appris encore plus vite. Avant, je pouvais juste parler, c'est tout. Je ne pouvais pas lire et écrire le français. Le plus dur a été d'apprendre l'alphabet, mais aujourd'hui c'est beaucoup mieux même si je fais encore des fautes. Maintenant que j’arrive à lire et à écrire le français, je suis devenue encore plus autonome. Je peux par exemple remplir des documents administratifs plus facilement. C’est une grande fierté pour moi de pouvoir être autonome.

Les souvenirs de mon pays d'origine.

Comme je l'ai déjà dit, j'ai de très bons souvenirs avec mon père, mais aussi avec ma mère. Mes deux parents ont été très gentils avec moi et ont participé à mon éducation. Ma mère m'a appris à cuisiner, à faire les gâteaux, le ménage, à travailler le pain et mon père m'a appris la politesse et le respect. Ces deux dernières valeurs sont très importantes à mes yeux, et je les ai moi-même transmises à mes enfants. Je me souviens des discussions que j'avais avec ma mère, quand nous faisions du crochet ou les mariages où nous nous rendions toutes les deux. Certaines odeurs me rappellent l'Algérie, comme les produits d'entretien aux senteurs de fruits, j'en ai encore ramené de vacances cet été, les odeurs de hammam ou encore l'odeur du parfum de ma mère. Il s’appelait « ploum ploum », il a l'odeur de l'après-rasage mais c'était de l'extrait de parfum. Ma mère en mettait derrière les oreilles et ça sentait bon. J'ai une autre odeur qui me vient en mémoire, c'est l'odeur de la soupe de ma mère. Elle y mettait de la viande, du piment, des légumes et des vermicelles qu'elle avait la patience de faire elle-même. En effet, en période de fête, elle pouvait en faire jusqu'à cinq kilos en une semaine.

Mon intégration

Aujourd'hui, je peux dire que mon intégration en France s'est bien passée. J'ai pris l'habitude de vivre en France, j’aime vivre ici, je suis bien en France, c’est devenu mon lieu de vie. Quand je retourne en Algérie, au bout d'un moment, j'ai hâte de rentrer. Il faut dire que depuis que mes deux parents ont disparu, je ne retrouve plus mes repères en Algérie. Je sais que ce n'est pas facile de s’intégrer et que certaines personnes ont du mal à le faire. Le plus difficile est de supporter le changement, c'est un bouleversement de changer de pays, on perd ses repères. Pour ma part, j'avais le choix à l'époque, je suis partie de mon pays d'origine même si je ne connaissais rien, ni la langue, ni la culture. L'intégration se fait de manière progressive, en Algérie, on dit «  marche par marche », et nous demande beaucoup d'efforts, il ne faut pas fuir à la première difficulté. S'intégrer, c'est prendre de nouvelles habitudes, il faut être curieux, chercher à connaître et à comprendre le pays qui nous accueille. Au final, je peux dire que je me suis très bien intégrée en France mais je ne refuse pas pour autant mes racines. Je reste très nostalgique, quand je repense à l’Algérie je me revois enfant avec mes parents.

Retour de l’animatrice qui a recueilli mon témoignage.

Tout au long du récit de vie, je me suis retrouvée dans un monde totalement différent du mien. J’ai voyagé le temps d’une après-midi, en découvrant l’Algérie et certaines de ses traditions. Mais j’ai été plus particulièrement touchée par les épisodes malheureux qu’a dû affronter cette personne. J’ai découvert une femme courageuse, qui a fait face à la perte de son père et à la sévérité de son frère, mais surtout qui a pris la décision de quitter sa famille pour vivre en France. Personnellement, je trouve qu’il faut un réel courage pour tout quitter et se retrouver dans un pays différent, dont on ne connaît rien. Malgré des obstacles difficiles à surmonter, Madame M. possède une personnalité qui marque vite son entourage par ses valeurs de respect, de générosité, de persévérance et de gentillesse spontanée.