Claudia Bettadji, Nagila Schouiter, Christelle Itshiari le regard : une frontière invisible.

De Wikithionville
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de gauche à droite : Nagila, Claudia et Christelle au casc à Yutz


Nagila Schouiter, Claudia Bettadji, Christelle Itshiari se sont rencontrées au C.A.S.C, centre social implanté dans le quartier « cofimec » à Yutz, pour participer à un petit film du « Réel en vue ». Chacune témoigne de ce qu’évoque « la frontière » pour elle.

Claudia la voit au niveau social, entre elle et les juges, les services sociaux. Christelle a vécu à l’étranger, s’est mariée avec des étrangers et pour elle il n’y a pas de frontière. Mais elle n’ose pas dire qu’elle habite aux « cofimec ».

Nagila pense que la frontière peut rapprocher : son père était harki, elle est française et algérienne. En gardant sa culture d’origine elle efface la frontière.

La frontière est plus une différence qu’on retrouve dans le regard de l’autre et ça, on l’aura toujours, n’importe où. L’être humain est comme ça, le grand le petit, le beau le pas beau, le fort le faible, le riche le pauvre, le gros le maigre.

L’ignorance peut faire du bien, elle évite de regarder et de sentir les choses mais l’idéal est de se battre pour prouver qu’on est capable d’y arriver : arriver à se convaincre soi-même qu’on est capable d’être l’égal de l’autre.

Lui nous regarde pour notre différence et nous, on veut lui prouver qu’on est son égal.

Nagila s’est toujours battue, dans la cours de l’école elle était celle qui sort de l’ordinaire, elle était l’arabe. Il lui a fallu apprendre à lire et écrire sans aide de ses parents et sans aide aux devoirs : à six ans elle s’occupait du courrier aux administrations (au cours préparatoire, on savait déjà écrire à cette époque là). Elle trouvait ça normal car elle n’avait pas le choix. Elle n’a aucun regret et cette période de sa vie en famille est un bon souvenir: devenir le substitut du chef de famille l’a aidé même si cela l’a trop vite responsabilisée.


Claudia a cinq enfants et ne veut pas les pousser à devenir adultes avant l’heure. Elle a toujours vécu en France, son père était malade et elle devait aider sa mère avec ses six enfants. Ses enfants sont blonds aux yeux bleus avec un nom de famille arabe, dans une école où les autres enfants sont bruns à la peau mate. Elle vit avec ses enfants ce que les étrangers vivent en France.

Les enfants de Christelle, treize, huit et quatre ans, n’osent pas aller chercher du pain au Lidl alors qu’au collège tout se passe bien. Heureusement, il y a le centre et l’accueil périscolaire qui leur permet de faire connaissance avec les autres et de devenir indépendants. Ici, on ne fait pas de différence entre les enfants, Claudia dit : le centre est le lien.


Christelle pense qu’on a de la chance de vivre en France. Pourtant elle a connu des difficultés en revenant vivre ici : elle a du prouver qu’elle était française alors qu’elle est née ici. Elle a fait l’expérience de ce que vit un étranger qui arrive en France : elle a du se reconstruire. Nagila est née en 1960 en Algérie et doit prouver encore aujourd’hui qu’elle est française. Cela ne s’arrête jamais.

Nagila se tourne vers ses voisines qu’elle côtoie dans le quartier mais sans les connaître vraiment. On ne se connait pas et on ne cherche pas à se connaître. Nous posons nous-mêmes les frontières et nous nous discriminons nous-mêmes. Dans le quartier, nous sommes logés à la même enseigne, nous nous connaissons plus ou moins de vue et dès qu’une personne rentre dans notre vie, c’est l’étranger.


Celui qui a des difficultés ne rêve que de s’en sortir, avancer, évoluer, acheter une voiture, une maison, quitter le quartier. Celui qui passe de l’autre côté, va du côté de celui qui regarde.

Pour Claudia, c’est le reste de la ville qui fait que le quartier est comme ça. Quand elle fait une demande de logement, c’est toujours dans le quartier qu’on lui propose un appartement. Christelle dit : "quand on habite ici, on reste ici". Il y a bien une aire de jeu mais comment comprendre qu’on l’ait construite si près de la grand route et en plein soleil avec des jeux en fer si durs que les enfants s’y blessent ? Pourquoi a-t-il fallu que Claudia aille voir le maire avec une pétition pour que l’école du quartier soit chauffée comme les autres écoles de la ville ?

Elles ne veulent pas que leurs enfants finissent mal. Eux, ne veulent pas quitter le quartier, ils ont appris à vivre ensemble et connaissent toutes les religions. Ils ne portent pas de regard différent sur l’autre, qu’il soit noir ou blanc.

Pourtant, Nagila craint que les enfants n’aillent vers une grande désillusion. Elle voudrait qu’ils sachent que la vie n’est pas le quartier, qu’il faut en sortir, se marier peut-être un jour, trouver du travail et faire de grandes études si possible. Mais elle a peur que la réalité ne les frappe de plein fouet.

Reste, comme dit Claudia, que si on a envie de dépasser une frontière, c’est qu’elle ne limite plus rien.